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Chroniques d'Hassan Cheyeb
9 janvier 2015

Charlie, quelle unité ?

Au matin du 7 janvier, tout indiquait que ce mardi serait une journée d’une banalité standard, avec son lot de petites phrases politiques idiotes, de décisions économiques hasardeuses mais habituelles. En quelques heures, tout aura rapidement basculé à l’horreur, et d’un coup, le pays se sera retrouvé secoué comme par une vigoureuse distribution de coups de lattes au saut du lit après une gueule de bois mémorable : l’année 2015 a décidé de ne pas commencer sur du velours. Au soir de cette journée funeste, ce seront douze cadavres à ajouter à la liste bien trop longue des victimes de l’islamisme. Cet attentat ajoute aussi son lot de morts à la liste, trop longue elle aussi, de ceux tombés simplement pour leurs opinions. Sans surprise, l’opinion publique est outrée. Les images, rapidement disponibles comme il se doit dans ce monde massivement numérique, ne laissent aucun doute sur l’horreur des actes perpétrés. Ce sera sans difficulté que, toujours aussi rapidement, des appels au rassemblement seront lancés. Dans ces rassemblements, on trouve bien sûr celui des citoyens lambda, ces personnes choquées qui, mesurant la portée de l’acte, ne peuvent se résoudre à rester chez elles et qui ont besoin de communier avec leurs semblables. Et on trouve, inévitablement, les politiciens qui n’ont pas d’autres choix d’abord, que de suivre le mouvement, puis, ensuite de le rattraper et d’enfin l’organiser, pour ne pas dire le récupérer. Tout aussi inévitablement, le chef de l’État s’exprime. Devant l’urgence, ses communicants n’ont pas eu le temps de préparer à fond son discours : Hollande est banal, sans grandeur, mais finalement moins mauvais que d’habitude. Comme on pouvait s’y attendre, presque conformément à la tradition républicaine, il appelle à l’unité nationale. Il a, bien sûr, raison, même si le terme d’unité nationale est ici assez galvaudé : comme je l’écrivais hier, c’est bien la décence élémentaire, avant tout, qui impose de stopper ici net toutes les polémiques microscopiques en face des morts civils, de mettre une puissante sourdine à toutes les dissensions devant l’attaque délibérée de l’un des fondements de notre société moderne, la liberté de penser. Dans cet appel à l’unité, il est bien sûr rejoint rapidement par ce que le pays compte de leaders politiques, d’un Mélenchon qui estime que, je cite « Il s’agit de faire la démonstration que nous sommes capables de nous serrer les coudes, de faire peuple ensemble, et que rien ne nous divisera » … ou un Bayrou qui le rejoint avec pour lui « Un seul devoir, nous serrer les coudes ». Pas de doute, le mardi 7 janvier, la France est unie, dans la tristesse, l’horreur, la colère bien sûr et la détermination. Las, le mercredi 8 janvier, la donne change. Chassez le naturel, et il revient en formule 1 avec des réflexes de ninja, surtout en France, surtout avec la classe politique qui nous occupe. Car l’unité, oui, c’est bien joli, mais il y a le Front National. Et le méchant parti n’a rien trouvé de mieux que déclarer, par sa présidente Marine Le Pen, que l’attentat devait… « libérer notre parole face au fondamentalisme islamique ». Franchement, réclamer une libération de la parole, le droit d’exprimer tout un tas d’idées, mêmes des nauséabondes, au moment où la liberté d’expression est attaquée, voilà qui est un peu fort de café, ne trouvez-vous pas ? Cela ne pouvait évidemment pas passer tout seul, pas en France, pas maintenant. Ensuite, des leaders du Front National, défilant coude à coude (je présume serrés, comme le réclament Bayrou et Mélenchon) avec des leaders du Parti Socialiste, du Front de Gauche, des Verts, du Modem ou de l’UMP, ça doit gêner pas mal de monde. À commencer par le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, ou le député PS François Lamy. Ou d’autres encore, nombreux. Eh oui, que voulez-vous : l’unité, c’est quelque chose de millimétré, bien précis, dans lequel on rentre, ou pas. Et en ce qui concerne le Front National, nos nouveaux leaders de la Liberté d’Expression ont beau raboter autant qu’ils peuvent l’étalon républicain tant vanté par tous au soir du 7 janvier, … le parti de Marine Le Pen ne semble pas rentrer. Zut alors. Pire : comme l’exprime Jean-Luc Bennahmias, le député à la tête du Front démocrate, pour qui « la présence du FN, c’est niet », ce rabotage est inutile, voire néfaste : « de toute façon en ce moment, quoi que l’on fasse, tout est susceptible de rendre service au FN » Autrement dit : il vaudrait mieux éviter carrément tout appel à l’unité, ou son contraire, ou faire quoi que ce soit parce que, mes petits agneaux, vous comprenez, en ce moment, tout est susceptible de rendre service au FN ! Quelle belle unité ! Quels nobles sentiments ! Quelles belles postures ! Et surtout, quelle belle compréhension des mécanismes humains qui pousse ainsi les uns à rejeter les autres, ostraciser toujours un peu plus un parti alors que c’est précisément cette ostracisation qui lui a valu ses plus beaux succès, que c’est précisément ce musellement de la parole qui lui a fourni le plus de grain à moudre ! Jamais, à lire ces phrases, ces réactions et à constater cette unité déjà si mal en point, la phrase de Bossuet n’aura trouvé un écho plus vibrant que maintenant dans notre pauvre République : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

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